[article]
Titre : |
Je suis venue, j’ai vu, entendu… |
Type de document : |
texte imprimé |
Auteurs : |
Patricia Denat, Auteur |
Année de publication : |
2021 |
Article en page(s) : |
p. 189-191 |
Langues : |
Français (fre) |
Catégories : |
Alpha D:Droit fondamental ; E:Enfant ; E:Engagement professionnel ; F:Famille d'accueil ; F:Financement ; P:Protection de l'enfance et de la jeunesse ; S:Structure d'accueil
|
Résumé : |
Je suis venue, j’ai vu, entendu…
Je suis venue, pour cette journée exceptionnelle qui nous réunit, nous, professionnels de l’enfance de tous bords, motivés, expérimentés, spécialisés, certains de grand renom, d’autres plus anonymes, mais tous engagés. Nous sommes là pour parler de nos métiers, d’études et de quotidien, de grandes idées et de petites histoires de vie. Dans cet espace les mots se croisent, font écho, prennent toute leur place. Ils s’attardent sur des rencontres nouvelles, restent parfois, au détour d’une page…
Que ferons-nous de ces moments précieux ? Peut-être pas grand-chose dans l’immédiat… Nous nous saisissons au passage de notions nouvelles, d’idées importantes, de vécus auprès des enfants, autour des enfants et pour eux. Les retours sont riches de tout ce que nous avons absorbé avec avidité, riches de promesses pour ces tout-petits que nous regarderons autrement…
Puis nous réintégrons notre quotidien, et la réalité nous rattrape, immanquablement, implacablement ! Et tout cet engagement dans la protection de l’enfance me paraît bien dérisoire… Des services débordés par manque de moyens, alors l’effet domino s’enclenche. Il s’agit là de mécanique pure, et nous entamons la ronde des frustrations qui génère de la colère, des dépressions, des départs en maladie, ou pire, des départs tout courts. Des enfants mal accueillis, voire pas du tout accueillis, par manque de places, de lieux… ça dépend des départements, des engagements de nos élus, ou non…
Qu’ont-ils à faire dans la protection de l’enfance, ces élus ? Quelles sont leurs compétences en la matière ? Comment se fait-il qu’ils puissent voter des budgets pour la prise en charge des enfants selon leurs critères, arbitraires, distanciés, dans une méconnaissance irresponsable de ce que sont ces enfants, des conséquences de cette ignorance sur leur chemin de vie ? Les droits de l’enfant ne sont-ils pas universels ? Quelles sont nos obligations à leur égard, en tant qu’accueillants, institutions, État ? Car ces enfants sont sous la responsabilité de l’État, n’est-ce pas ? Alors, tout comme il nous demande d’assumer notre responsabilité de citoyen, il se doit de répondre de la sienne !
Ce petit bonhomme est accueilli dans le sud de la France, il n’est pas prévu de budget Noël pour lui. Il est sacrément injuste, ce Père Noël, parce que ce gamin-là n’a pas été moins sage que les autres, je vous assure !
Sa prime vêture est inférieure de plus de 100 euros par saison par rapport à d’autres départements. Comme beaucoup d’enfants placés, il a peu d’estime de lui-même, alors il casse, il abîme ses affaires. Le pantalon maintes fois reprisé attire le regard, et il n’y est pas insensible, le petit diable. La nécessité d’être vêtu correctement n’est-elle pas la même pour tous ? Peut-on demander à une famille d’accueil de ne pas pourvoir à ce besoin au minima, parce que l’élu de sa région n’est pas féru de mode ? Sa famille d’accueil, mal formée (voire pas du tout), mal accompagnée, moins rémunérée que d’autres, fera ce qu’elle pourra pour le maintenir « à flot ». Elle a bien repéré des difficultés dans le langage, le comportement, mais pas de soins, par manque de place… Il faudra attendre un an, deux ans peut-être… L’enfant s’agite, il est en échec scolaire, ce qui majore ses difficultés. Il aurait maintenant besoin d’une place dans une structure spécialisée mais, là encore, pas de place… Alors l’assistante familiale doit compenser, elle s’y épuise, impuissante, découragée… Comment alors accompagner cet enfant comme il le faudrait ?
On lui proposera, peut-être, une prime parce que cet accueil est jugé particulièrement difficile ; son salaire augmentera donc de 150 euros par mois. Pas de chance : si elle habitait le département voisin, elle pourrait prétendre à 900 euros par mois… Quelle est la logique d’un tel écart ? Ces quelques euros ne résoudront pas les difficultés du petit garçon, soyez-en sûrs, il demandait juste un autre regard, un accompagnement adapté, à la hauteur de ses souffrances…
Qu’en est-il des indemnités d’entretien qui là encore laisseraient supposer que le prix de l’alimentation, de l’énergie, des carburants diffèrent d’un lieu à l’autre ? Qui juge du droit et des besoins des enfants que nous affirmons « protéger », avec toute la certitude de notre société bien-pensante ? Quelle est donc la définition de la protection ? Nous les accueillons comme nous pouvons, avec les moyens que nous avons. Il faut faire face aux multiples dysfonctionnements, à tous les niveaux, aux prises en charge des enfants souvent bien compliquées dans ce climat de tension, d’incohérence, d’incompréhension…, et notre engagement personnel dépasse souvent le degré du raisonnable pour assurer l’enfant de notre présence, quoi qu’il en coûte.
Il y a tant à dire… à faire…
Je crois que nous avons ici matière à réflexion, nous tous, professionnels de l’enfance. Il s’agit là de conscience personnelle, collective, professionnelle… et il est temps de poser des actes, autant que nous pouvons, à la mesure des engagements possibles, à tous les niveaux.
Alors que faisons-nous de ces moments précieux ? Comment les répercuter, les essaimer autour de nous ? Comment faire poids auprès de nos décideurs, impacter, pour de vrai, sur le terrain ?
Je voudrais des tables rondes, des regards croisés, des actions croisées, un organisme indépendant spécialisé pour la protection de l’enfant qui partirait du principe que ces enfants ont des droits, tous égaux, que la valeur d’un enfant ne se marchande pas au profit de parterres de fleurs qui embelliront nos conseils départementaux, histoire de donner une belle image de notre service public.
Aujourd’hui nous ne parlons pas le même langage, juges pour enfants, juges des familles, assistants sociaux, personnels de la pmi, professionnels de terrain, institutions… Il est temps de nous rencontrer et de travailler ensemble.
C’est cela que j’écrirai dans ma lettre au Père Noël, et je crois qu’il aura fort à faire pour me satisfaire. Mais peut-être qu’il s’attardera hors de Laponie dans les prochaines années pour gâter les enfants et leur permettre de rêver… comme il se doit. |
Permalink : |
http://cdocs.helha.be/pmbtournai/opac_css/index.php?lvl=notice_display&id=49128 |
in Spirale : La grande aventure de Monsieur bébé > n° 99 (Décembre 2021) . - p. 189-191
[article] Je suis venue, j’ai vu, entendu… [texte imprimé] / Patricia Denat, Auteur . - 2021 . - p. 189-191. Langues : Français ( fre) in Spirale : La grande aventure de Monsieur bébé > n° 99 (Décembre 2021) . - p. 189-191
Catégories : |
Alpha D:Droit fondamental ; E:Enfant ; E:Engagement professionnel ; F:Famille d'accueil ; F:Financement ; P:Protection de l'enfance et de la jeunesse ; S:Structure d'accueil
|
Résumé : |
Je suis venue, j’ai vu, entendu…
Je suis venue, pour cette journée exceptionnelle qui nous réunit, nous, professionnels de l’enfance de tous bords, motivés, expérimentés, spécialisés, certains de grand renom, d’autres plus anonymes, mais tous engagés. Nous sommes là pour parler de nos métiers, d’études et de quotidien, de grandes idées et de petites histoires de vie. Dans cet espace les mots se croisent, font écho, prennent toute leur place. Ils s’attardent sur des rencontres nouvelles, restent parfois, au détour d’une page…
Que ferons-nous de ces moments précieux ? Peut-être pas grand-chose dans l’immédiat… Nous nous saisissons au passage de notions nouvelles, d’idées importantes, de vécus auprès des enfants, autour des enfants et pour eux. Les retours sont riches de tout ce que nous avons absorbé avec avidité, riches de promesses pour ces tout-petits que nous regarderons autrement…
Puis nous réintégrons notre quotidien, et la réalité nous rattrape, immanquablement, implacablement ! Et tout cet engagement dans la protection de l’enfance me paraît bien dérisoire… Des services débordés par manque de moyens, alors l’effet domino s’enclenche. Il s’agit là de mécanique pure, et nous entamons la ronde des frustrations qui génère de la colère, des dépressions, des départs en maladie, ou pire, des départs tout courts. Des enfants mal accueillis, voire pas du tout accueillis, par manque de places, de lieux… ça dépend des départements, des engagements de nos élus, ou non…
Qu’ont-ils à faire dans la protection de l’enfance, ces élus ? Quelles sont leurs compétences en la matière ? Comment se fait-il qu’ils puissent voter des budgets pour la prise en charge des enfants selon leurs critères, arbitraires, distanciés, dans une méconnaissance irresponsable de ce que sont ces enfants, des conséquences de cette ignorance sur leur chemin de vie ? Les droits de l’enfant ne sont-ils pas universels ? Quelles sont nos obligations à leur égard, en tant qu’accueillants, institutions, État ? Car ces enfants sont sous la responsabilité de l’État, n’est-ce pas ? Alors, tout comme il nous demande d’assumer notre responsabilité de citoyen, il se doit de répondre de la sienne !
Ce petit bonhomme est accueilli dans le sud de la France, il n’est pas prévu de budget Noël pour lui. Il est sacrément injuste, ce Père Noël, parce que ce gamin-là n’a pas été moins sage que les autres, je vous assure !
Sa prime vêture est inférieure de plus de 100 euros par saison par rapport à d’autres départements. Comme beaucoup d’enfants placés, il a peu d’estime de lui-même, alors il casse, il abîme ses affaires. Le pantalon maintes fois reprisé attire le regard, et il n’y est pas insensible, le petit diable. La nécessité d’être vêtu correctement n’est-elle pas la même pour tous ? Peut-on demander à une famille d’accueil de ne pas pourvoir à ce besoin au minima, parce que l’élu de sa région n’est pas féru de mode ? Sa famille d’accueil, mal formée (voire pas du tout), mal accompagnée, moins rémunérée que d’autres, fera ce qu’elle pourra pour le maintenir « à flot ». Elle a bien repéré des difficultés dans le langage, le comportement, mais pas de soins, par manque de place… Il faudra attendre un an, deux ans peut-être… L’enfant s’agite, il est en échec scolaire, ce qui majore ses difficultés. Il aurait maintenant besoin d’une place dans une structure spécialisée mais, là encore, pas de place… Alors l’assistante familiale doit compenser, elle s’y épuise, impuissante, découragée… Comment alors accompagner cet enfant comme il le faudrait ?
On lui proposera, peut-être, une prime parce que cet accueil est jugé particulièrement difficile ; son salaire augmentera donc de 150 euros par mois. Pas de chance : si elle habitait le département voisin, elle pourrait prétendre à 900 euros par mois… Quelle est la logique d’un tel écart ? Ces quelques euros ne résoudront pas les difficultés du petit garçon, soyez-en sûrs, il demandait juste un autre regard, un accompagnement adapté, à la hauteur de ses souffrances…
Qu’en est-il des indemnités d’entretien qui là encore laisseraient supposer que le prix de l’alimentation, de l’énergie, des carburants diffèrent d’un lieu à l’autre ? Qui juge du droit et des besoins des enfants que nous affirmons « protéger », avec toute la certitude de notre société bien-pensante ? Quelle est donc la définition de la protection ? Nous les accueillons comme nous pouvons, avec les moyens que nous avons. Il faut faire face aux multiples dysfonctionnements, à tous les niveaux, aux prises en charge des enfants souvent bien compliquées dans ce climat de tension, d’incohérence, d’incompréhension…, et notre engagement personnel dépasse souvent le degré du raisonnable pour assurer l’enfant de notre présence, quoi qu’il en coûte.
Il y a tant à dire… à faire…
Je crois que nous avons ici matière à réflexion, nous tous, professionnels de l’enfance. Il s’agit là de conscience personnelle, collective, professionnelle… et il est temps de poser des actes, autant que nous pouvons, à la mesure des engagements possibles, à tous les niveaux.
Alors que faisons-nous de ces moments précieux ? Comment les répercuter, les essaimer autour de nous ? Comment faire poids auprès de nos décideurs, impacter, pour de vrai, sur le terrain ?
Je voudrais des tables rondes, des regards croisés, des actions croisées, un organisme indépendant spécialisé pour la protection de l’enfant qui partirait du principe que ces enfants ont des droits, tous égaux, que la valeur d’un enfant ne se marchande pas au profit de parterres de fleurs qui embelliront nos conseils départementaux, histoire de donner une belle image de notre service public.
Aujourd’hui nous ne parlons pas le même langage, juges pour enfants, juges des familles, assistants sociaux, personnels de la pmi, professionnels de terrain, institutions… Il est temps de nous rencontrer et de travailler ensemble.
C’est cela que j’écrirai dans ma lettre au Père Noël, et je crois qu’il aura fort à faire pour me satisfaire. Mais peut-être qu’il s’attardera hors de Laponie dans les prochaines années pour gâter les enfants et leur permettre de rêver… comme il se doit. |
Permalink : |
http://cdocs.helha.be/pmbtournai/opac_css/index.php?lvl=notice_display&id=49128 |
|